Microfermes maraîchères bio

Etude sur les microfermes maraîchères biologiques en France

Cette étude a été réalisée par Kevin Morel, (UMR SADAPT, INRA) et François Léger, (UMR SADAPT, AgroParisTech)  sous le titre “Comment aborder les choix stratégiques des paysans alternatifs ? Le cas des microfermes maraîchères biologiques en France”, en 2015.
L’une des fermes témoins est celle de nos partenaires Charles et Perrine HERVE-GRUYER de la Ferme biologique du Bec Hellouin.

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Nous vous proposons un résumé de cette analyse qui décrypte les enjeux humains, écologique et agronomique des microfermes.

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Présentation

Les fermes alternatives remettent en question les cadres classiques d’analyse agronomique car elles visent le bien-être des personnes et des écosystèmes plutôt que la maximisation du profit. Notre travail a cherché à comprendre les choix stratégiques de ces fermes en considérant les spécificités de leur projet à partir d’une étude de cas de 12 microfermes maraîchères biologiques au Nord de la Loire.

Critères considérés comme caractéristiques de ce type de fermes :

• Le maraîchage constitue l’activité principale génératrice de revenu ;

• Surface cultivée inférieure à la surface que l’administration considère minimale pour qu’une ferme maraîchère soit viable économiquement. En France, cette surface est fixée à l’échelle du département ;

• Pas d’utilisation d’engrais et produits phytosanitaires de synthèse (avec ou sans certification agriculture biologique) ;

• Très grande diversité cultivée : plus de 30 productions maraîchères cultivées. Par ce terme, nous distinguons des types de légumes et d’herbes aromatiques qui sont identifiés par le consommateur et distingués dans la commercialisation. Ainsi, les tomates-cerises ou les tomates anciennes sont considérées comme deux productions distinctes, tout comme le brocoli et le chou-fleur alors qu’ils appartiennent à la même espèce botanique. Les productions fruitières (petits fruits et arbres fruitiers) ne sont pas ici comptabilisés alors qu’elles sont souvent présentes dans ces fermes mais de manière plus marginale au niveau commercial ;

• Commercialisation en circuits courts : vente directe du producteur au consommateur, ou vente indirecte avec un intermédiaire unique ;

• Sources d’inspiration alternatives par rapport au milieu de l’agriculture biologique classique ;

• Revendication d’aspirations environnementales et sociales fortes.

 

Au cours des entretiens, les maraîchers ont fortement insisté sur la dimension sociale et environnementale de leurs aspirations.

Un grand nombre d’aspirations concernent à la fois le bien-être des personnes et des écosystèmes qui sont conçus comme étroitement liés. Ces maraîchers n’échappent pas à la nécessité de créer de la valeur économique et de rationaliser, organiser, optimiser leur production. Cependant, ces fermes alternatives ne recherchent pas la maximisation de leur profit mais uniquement la possibilité de générer un revenu qui permette au paysan et à sa famille de vivre dignement selon le style de vie qu’ils désirent

En ce sens, leur projet n’est pas un projet d’entreprise mais un véritable projet de vie, posé comme un acte politique, expression de l’identité propre de chaque paysan et de ce qu’il souhaite faire advenir pour lui, pour sa famille et pour la société.

 

Un projet ancré dans le réel

La plupart des microfermes aspirent à travailler le plus possible avec la nature plutôt que contre elle. L’observation, la compréhension et l’adaptation aux particularités pédologiques, climatiques, microclimatiques, géographiques et écologiques de leur site de production est donc un déterminant stratégique important. De même, leur souci du bien-être humain s’accompagne souvent d’une réflexion sur des stratégies qui respectent les particularités des individus qui travaillent sur la ferme, comme leurs faiblesses physiques ou leur tempérament.

L’importance de penser les stratégies de la ferme en connaissant bien les particularités du lieu et des individus est en accord avec le principe « Observer et intéragir » décrit dans la permaculture (Holmgren 2002) dont s’inspirent plusieurs des microfermes étudiées.

 

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Des stratégies diverses pensées de manière systémique

Inscription dans le territoire

Les modes de construction de liens avec la communauté locale constituent une dimension essentielle des choix stratégiques opérés par les paysans que nous avons rencontrés. Les choix de commercialisation constituent une composante clef de cette inscription territoriale. Les stratégies de commercialisation mises en œuvre diffèrent selon les fermes par la nature des circuits courts choisis : vente de paniers hebdomadaires avec abonnement des consommateurs sur une période variable de plusieurs mois à un an (AMAP), vente de paniers de légumes sans engagement, vente au détail sur la ferme ou par internet, sur les marchés ou dans des boutiques de producteurs, vente directe à des restaurants privés, à de la restauration collective ou à des magasins biologiques.

Gestion technique et écologique

Il est particulièrement frappant de voir que les maraîchers raisonnent l’impact de leurs choix techniques à l’échelle de l’agroécosystème en considérant de façon holistique les fonctions productive, métabolique (bouclage des cycles de matière) et immunitaire (maintien de la santé des plantes cultivées) .

Les microfermes se distinguent par une recherche d’intensification de la production par unité de surface qui est d’autant plus forte que la surface cultivée par actif est réduite.Le travail à la main y est plus valorisé. Si quelques fermes font le choix du travail exclusif à la main, la plupart y associent un recours à une petite motorisation d’autant plus importante que la surface cultivée par actif augmente

Entretien de la fertilité du sol : non travail du sol, travail du sol superficiel ou non-inversif,  travail sur buttes ou planches permanentes,  couverture plus ou moins permanente du sol par des paillages organiques ou plastiques

Santé des plantes : Pour garantir la santé des plantes, les paysans utilisent des techniques classiques en maraîchage comme les rotations et les traitements biologiques (principalement préparés sur la ferme comme des macérations de plantes). Cependant, les paysans essayent avant tout de s’appuyer sur les régulations biologiques que favorisent la variété des cultures autant que des habitats qu’ils ont favorisés en créant des milieux variés sur la ferme (haies, arbres, mares, bandes fleuries, zones refuges, espaces non cultivé etc.).

Organisation de la diversité cultivée

Penser le système dans l’espace afin de favoriser au maximum les interactions positives entre ses éléments, faciliter le travail et créer un paysage agréable qui contribue au bien-être des paysans. Ces choix d’organisation spatiale vont de pair avec une organisation temporelle de la diversité pour gérer la complexité inhérente à la commercialisation hebdomadaire d’une gamme variée sous la contrainte d’aléas, en particulier climatiques

L’implantation des « légumes clés » est planifiée de manière stricte un an avant la saison de production alors que les « légumes complémentaires » sont planifiés de manière moins stricte ou au cours de la saison de production en fonction des opportunités. De même, la marge de sécurité entre ce qui est implanté et ce qui est censé être récolté peut varier selon les espèces et les maraîchers

Investissement

Les microfermes partagent toutes un même souci de modération dans les investissements

Organisation de la force de travail

Les modèles productifs des microfermes : agriculture biologique, priorité donnée au travail manuel, commercialisation en circuits courts, ont pour conséquence un fort besoin de main d’œuvre. Cependant, seulement une des 12 microfermes étudiées emploie des salariés permanents. Pour les autres, la main d’œuvre est essentiellement le fait du ou des maraîchers. L’implication de la famille, d’amis, de voisins ou de clients dans le travail de la ferme, certes variable, est globalement modérée

 

Ce sont les aspirations des maraîchers et la perception des opportunités et contraintes de leur situation qui conditionnent les choix stratégiques des microfermes.

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Conclusion

En créant des agroécosystèmes hautement diversifiés qui favorisent les fonctions immunitaires et métaboliques du paysage cultivé, les paysans visent une production saine, variée et abondante tout en bénéficiant d’un cadre de vie plaisant qui profite aussi à leurs voisins et visiteurs. Afin de gérer la complexité liée à ces agroécosystèmes diversifiés et faire correspondre leur offre aux demandes spécifiques des circuits courts, ils développent des stratégies innovantes d’organisation spatiale et de planification. Par cette pensée holistique et ancrée dans le réel, les paysans des microfermes prétendent répondre à leurs aspirations sociales et environnementales. Cependant, notre étude a montré que ces aspirations pouvaient être en tension et que les maraîchers devaient réaliser des arbitrages entre certaines d’entre elles.

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Sources : “Comment aborder les choix stratégiques des paysans alternatifs ? Le cas des microfermes maraîchères biologiques en France”. de Kevin Morel, (UMR SADAPT, INRA, Paris, France ; kevin.morel@agroparistech.fr)  et François Léger, (UMR SADAPT, AgroParisTech, Paris, France)

Images: Ferme du Bec Hellouin

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